dimanche 19 mai 2024

L'impertinence du shôjo manga #SemaineduShôjo2024


    Cela fait de nombreuses années, depuis mes toutes premières lectures de manga même, que je suis inconsciemment attirée par le shôjo manga. À bien y réfléchir, j'ai toujours été tournée vers les médias pensés pour capter l'attention féminine. Bien sûr, cela est dû à mon sexe et la façon dont j'ai été élevée. Enfant, je pensais que c’était des lectures mignonnes à un certain âge, mais que les sentiments, c’était bon pour les adolescentes en fleur et que cela me passera. Mais, une fois adulte, je me suis rendue compte que je n'avais aucunement l'intention de m'éloigner de ces lectures qui me passionnent tant. Alors, qu'est-ce que j'aime tant dans le shôjo manga ? C'est une vaste question à laquelle propose de réfléchir le blog Club Shôjo pour cette nouvelle édition de leur annuelle Semaine du shôjo.

    La semaine du shôjo (dont voici le programme) se déroule du 13 au 19 mai sur le blog Club Shôjo, qui écrit depuis de nombreuses années maintenant de très bons articles sur le shôjo manga et les médias à destination de femmes. Je vous invite grandement à prendre le temps de lire le contenu informatif et amusant que les autrices vont proposer cette semaine ! Il y a deux ans, j'avais eu l'occasion d'écrire sur mon héroïne favorite de shôjo, Tohru Honda, et je remets le couvert cette année en tentant d'expliquer ce qui me plait particulièrement dans cette cible éditoriale. Un grand merci à Club Shôjo pour cette nouvelle invitation !

Moi, ce que j'aime, c'est l'Amour 

Orange, par Ichigo Takano (Akata)

    Lorsque j'ai commencé à lire des mangas romantiques, j'étais au collège et je n'avais encore jamais été amoureuse. Lorsque je me suis familiarisée avec ce sentiment nouveau, les shôjos romantiques ont été pour moi une vraie bouée de sauvetage, permettant de mettre des mots pile là où je trébuchais. Voir des héroïnes qui me ressemblaient peiner à dompter ce sentiment puissant, puis trouver une harmonie sentimentale avec celui qu'elles avaient choisi comme élu de leur coeur me procurait un grand réconfort. Je me sentais en parfaite osmose avec ces récits qui exprimaient parfaitement mes difficultés du moment ainsi que les petites victoires et joies solitaires d'un amour à sens unique. Lire du shôjo manga romantique, c'était comme lire mon journal intime que je n'avais pas écrit, celui qui exprimait tout ce que j'avais sur le bout de la langue, sans pouvoir aussi bien le formuler. J'ai toujours été émotive et très investie dans mes lectures, mais avec ces histoires d'amour, je sentais mon cœur battre si fort que tout me paraissait incroyablement réel. Et c'est ce qui m'a séduit en premier lieu avec cette cible éditoriale. 

    J'ai un rapport très égocentrique à la lecture et j'ai rapidement découvert que j'arrivais plus facilement à me connecter émotionnellement au shôjo ou au josei qu'à une autre cible. Peu importe à quel âge, j'ai plusieurs fois réussi à me connecter aux personnages mis en scène ou aux situations qu'ils vivent et cela me fait ressentir une petite joie secrète, celle d'avoir l'impression de ne pas être tout à fait seule, d'être comprise. Ces lectures, en plus de m'avoir fait simplement du bien, m'ont davantage affectée sur ma vie personnelle, parfois sur ma façon de penser. J'ai naïvement l'envie de croire qu'elles m'ont fait grandir et que j'en suis ressortie un peu différente. 

    Contrairement à ce que je pensais plus jeune, j'ai finalement gardé mon appétence pour les histoires romantiques, même celles qui se déroulent au lycée, une époque qui commence à être quand même assez éloignée de mes expériences. Peut-être est-ce par nostalgie de ces sentiments inédits qui ne seront plus jamais ressentis de la même manière ou bien est-ce tout simplement parce que j'aime l'Amour et les histoires compliquées qui rendent heureuses, malgré tout. Dans tous les cas, je me réjouis toujours autant de démarrer une nouvelle histoire de shôjo et, comme par défi; plus je lis de critiques négatives à l'encontre de ces "histoires à l'eau de rose", plus j'ai l'envie d'en dévorer et d'assumer ma position, de défendre les intérêts multiples de ce genre. 


Le grain de sable dans le mécanisme de la romance

X, par CLAMP (Tonkam)

    Bien que lectrice de plusieurs genres simultanément, j'ai ainsi commencé à être prise dans une spirale dévorante de lectures romantiques. J'ai commencé à m'intéresser à des autrices, à être complètement obsédée par ce style de dessin délicat et à favoriser la romance, naturellement. Si j'ai aujourd'hui diversifié davantage le type de contenu qui appartient au shôjo manga, je me suis rendue compte des raisons de mon inclinaison inchangée. Le shôjo manga n'a pas peur de faire preuve de sentiments et c'est justement cette force de caractère qui m'attire le plus. Les mangas pensés pour les filles et femmes peuvent (mais pas obligatoirement) placer la romance en son centre, mais peuvent aussi être des récits d'action, d'horreur ; se dérouler dans un autre pays, dans un autre monde, dans une autre galaxie... ! Le titre peut être contemporain ou explorer des époques qui me sont inconnues. Il peut également être aussi amusant que dramatique, gore que poétique et fleuri. Ce qui lie toutes ces histoires à priori très différentes, c'est le soin apporté aux émotions. L'essence du shôjo manga demeure dans sa forte volonté à faire ressentir de grands bouleversements dans l'esprit de son lectorat, de le choquer, de le déstabiliser tout aussi bien que de le rendre très heureux. En définitive, j'adore la dimension dramatique plus ou moins forte dans ces récits qui me font toujours beaucoup d'impressions.

    Dans cette volonté de provoquer et de confronter le lecteur avec une réalité dont il préfère parfois se cacher, on peut retrouver de nombreuses thématiques sociales et sociétales audacieuses. Le shôjo ne craint pas de parler de sujets difficiles et douloureux, comme le deuil, la maladie. Ce n'est qu'une observation, mais on ressent une véritable libération au niveau des sujets employés par les autrices, qui n'ont pas peur d'effaroucher un public masculin pour qui, de toute manière, leurs histoires ne sont pas spécifiquement adressées. Le sujet de la sexualité entre autre a ainsi, de mon point de vue féminin, plus de dimension dans un shôjo ou un josei. De manière plus large, j'adore comme les autrices montrent la réalité de la femme dans une société patriarcale et peuvent davantage développer les pensées "inconventionnelles" de leurs héroïnes sur le monde qui les entoure, sans réellement penser aux mots qui pourraient conforter les hommes dans ce qu'ils ont envie de lire et voir. Ainsi, les minorités ont également naturellement davantage leur place dans le shôjo manga, qui traite des amitiés romantiques entre même sexe dès les années 60, avant de finalement assumer leurs thématiques LGBT+ de plus en plus frontalement. Il y a une réelle confrontation avec des sujets jugés "tabous" par la société, toujours sous le prisme de l'humain et la façon dont celui-ci va traverser cette épreuve. On peut citer, dernièrement, la sortie osée de L'enfant en moi aux éditions Kana qui parle d'une grossesse adolescente avec justesse et beaucoup d'émotions. De tous temps, le shôjo manga suit les problématiques japonaises et se tient au plus près de la réalité sociale, économique et culturelle du pays, ce qui permet au lecteur de se projeter plus facilement. Le shôjo manga "ose" s'attaquer au quotidien, celui qui n'intéresse personne et tout le monde à la fois, car qui ne s'est pas déjà reconnu dans une situation dépeinte dans cette cible éditoriale ? 

    Il y a de plus une véritable subtilité, une certaine rêverie dans la façon dont les autrices vont dépeindre ces sentiments. Ce que je vais dire est peut-être un peu cliché (mais approuvé par CLAMP), mais là où les lectures pensées pour un lectorat masculin vont coucher clairement les sentiments sur papier, de façon presque brusque, les autrices laissent la place à l'interprétation des émotions, laissent le soin au lecteur de faire gambader son imagination et de réfléchir réellement à ce qu'elles veulent exprimer. J'adore le fait que les lectrices ne soient pas traitées comme des idiotes à qui il faut mâcher le travail.


Le shôjo manga se rebelle

La rose de Versailles, par Riyoko Ikeda (Kana)

    En utilisant ainsi frontalement les sentiments pour mieux mettre le lecteur en face de ses propres émotions, les autrices de shôjo manga semblent se libérer des codes prédéfinis par leurs collègues masculins, afin de mieux s'approprier le média, à leur façon. Je suis loin d'être une connaisseuse infaillible et beaucoup en parleront mieux que moi, mais en étudiant un peu l'arrivée du shôjo manga au Japon ainsi que ses influences et son apport au média, j'ai été fascinée par cet esprit impertinent qui n'a que peu faire de ce qu'ont installé leurs ainés depuis bien longtemps dans le paysage artistique. Les autrices ont littéralement débarqué dans un milieu dominé alors par l'homme et créé tout un pan de la culture manga de zéro, avec leurs propres éléments. Quoi de plus rebelle que ça ? Il y a un refus de la conformité chez les autrices que je trouve fascinant et libérateur

    Cela leur permet, comme dit plus haut, d'aborder des sujets différents de leurs confrères masculins, mais également d'imposer une certaine vision artistique permettant à la cible de se démarquer des autres. Ce que l'on remarque souvent en premier dans le "style shôjo", ce sont les magnifiques yeux de leurs protagonistes, tout en détails et véritables miroirs de la situation qui se joue alors dans le récit. Mais il y a davantage de codes qui sont devenus petit à petit propre au shôjo, et l'histoire de l'arrivée de ces composantes me fascine. S'inspirant des peintres de l'époque, les autrices de shôjo apportent une touche plus libre au manga en installant leurs personnages hors de la sévérité des cases qui faisait alors loi. Ces derniers sortent de leurs cases comme pour symboliser une libération. Elles disposent leurs protagonistes au milieu des fleurs, chevauchant les traits des cases, jouant avec des vues épurées puis des gros plans favorisant l'accès aux émotions. La mise en page ne respecte alors plus rien ou presque de ce que l'on connaissait auparavant et facilite la lecture. S'affranchissant du tabou selon lequel les émotions ne sont pas nécessairement montrées car signe de faiblesse, les autrices ont font la force de leurs mangas, qui se révèlent alors dans toute leur sincérité. Les pensées des protagonistes sont révélés au grand jour, criant de vérité et de ressemblance avec celles du lecteur. Il est intéressant de noter que tous ces changements visuels ont, selon Keiko TAKEMIYA (Destination Terra) été permis par le manque d'intérêt du plus grand nombre pour le shôjo, permettant aux autrices d'expérimenter et de façonner le futur du manga.


Sélection de voleurs de cœur

    Pour terminer ce long pavé, j'avais envie de vous partager plusieurs séries qui m'ont fait aimer le shôjo manga. Certaines pour leurs personnages qui m'ont tant parlé. D'autres, pour le courage, la passion et la force intérieure qu'ils m'ont apporté dans mon quotidien. D'autres encore, pour les nombreuses fois où je les ai repris en main, pour le plaisir de verser à nouveau une petite larme de joie ou d'émotion. Tous, en tout cas, pour l'excellence de leur écriture et pour les bons moments qu'ils m'ont fait vivre. En définitive, j'aime le shôjo car c'est le type d'œuvre à laquelle j'arrive le mieux à me connecter émotionnellement. 


    
    Et vous, pourquoi aimez-vous le shôjo manga ? Quelles œuvres sont chères votre cœur et liées à votre âme ? Si l'histoire du shôjo manga vous intéresse et que vous aimez Fruits Basket, n'hésitez-pas à lire, si vous en avez l'occasion, le livre que j'ai écrit à son sujet

    Parce qu'il n'y a jamais assez de jolis mots pour décrire le shôjo, je vous invite grandement à lire les textes des autres participants sur le même sujet ! 

    🌷Bulle Shôjo
    🌷Le Cabinet de Mccoy
    🌷Le Chapelier Fou
    🌷Docteur Pralinus
    🌷Esprit Otaku
    🌷Ines-Scarlet
    🌷Lasteve
    🌷Les lectures du Kitsune
    🌷La mangasserie
    🌷Nostroblog
    🌷Sunread26

Merci de m'avoir lu jusqu'au bout, j'espère que ce texte aura su nourrir une petite partie de votre affection pour le shôjo 🌸 En vous souhaitant un délicieux goûter (eh oui, c'est l'heure) et un joli dimanche,
Roseline. 🍵

2 commentaires:

  1. Quelle magnifique déclaration d'amour au shôjo. Quand tu parles de mangas, tu parles en même temps de toi et c'est quelque chose que j'apprécie énormément sur ton blog.

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    1. Oh merci beaucoup... Ça me touche trop, c'est tout à fait ce que je voudrais installer à long terme dans mon écriture, car ça me plait d'installer un dialogue entre mes passions, la moi d'aujourd'hui et la moi passée. Je suis trop contente que l'article t'ait plu !

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