samedi 11 novembre 2023

Rosen Blood - un amour empoisonné


    Vous êtes depuis longtemps, déjà, sur la route. Personne ne sait au juste où se trouve votre destination... Peut-être l'ignorez vous également. Mais bientôt, vous êtes arrêtés par une forêt de ronces sombres, menaçantes mais aussi étrangement fascinantes. Il vous est impossible d'en détourner les yeux. Dissimulé bien au delà de ses épines, un château qui semble figé dans le temps vous accueille de ses bras décharnés. Dans son enceinte fantomatique se trouve quatre jeunes hommes dont la beauté éblouissante renferme quelque chose de sinistre. Bienvenue dans l'univers de Rosen Blood, le manga dont nous allons discuter aujourd'hui...

    Issu des pages de l'illustre magazine Princess dont nous viennent plusieurs excellents shôjos mangas (Black Rose Alice, L'infirmerie après les cours, Le requiem du roi des roses ...), Rosen Blood est la troisième série de l'illustratrice Kachiru ISHIZUE dont on avait déjà croisé la route en France avec son manga Illegenes. Tout comme ce dernier, le titre dont nous allons parler s'intéresse clairement à un public féminin ou du moins réceptif aux codes visuels et narratifs du bishônen ainsi que des jeux de drague plus connus sous le terme d'otome games. Je tenais à faire ce petit avant propos car, s'il est loin d'être parfait, je pense que le titre a souffert d'une mauvaise réception vers un public ne lui convenant pas. Sans pour autant chanter ses grâces aveuglement, il est à mon avis important de garder en tête le public cible de cette œuvre pour l'apprécier davantage et succomber, à notre tour, aux charmes vampiriques de ses occupants. 

    Tandis qu'elle est en chemin pour trouver un poste en tant que domestique, Stella est victime d'un accident de fiacre. Elle se réveille entre les murs d'un grand château abimé par les années dans lequel vivent quatre jeunes hommes. Ils lui proposent un emploi dans leur demeure et si tout semble se dérouler au mieux pour Stella, la jeune femme va rapidement se rendre compte que quelque chose ne tourne pas rond dans cette maison, à commencer par ses habitants qui lui nourrissent un intérêt charnel bien peu humain. Le lecteur le comprends très aisément (si la couverture ne suffisait pas à confirmer nos doutes), Stella se retrouve piégée dans un manoir rempli de vampires. Pour calmer leur faim, les créatures envoûtent les jeunes filles du village voisin et les transforment en cristaux qu'ils font fondre sous leur diabolique langue. Pour notre héroïne, le charme du maitre de maison, le ténébreux Levi, a déjà tissé une toile trop robuste pour qu'elle puisse s'en sortir. Éperdument amoureuse de cette créature qu'elle sait pourtant dangereuse, la domestique fait le choix de rester à ses côtés malgré sa nature démoniaque, dans l'espoir de pouvoir le rassasier et, peut-être, redonner un semblant d'humanité à ce groupe disparate. 
   Il est plaisant de plonger dans les recoins obscurs de cette vieille maison aux accents gothiques, qui se fait particulièrement mystérieuse dans son premier volume. J'ai beaucoup apprécié cette ambiance sombre qui rend la découverte du manoir charmant. Sans avoir autant de caractère que la maison Usher, cette demeure entourée de ronces participe à donner au récit des notes de conte de fées cruel. Tandis qu'elle se lie à chaque membre à sa façon, l'héroïne Stella va leur permettre de fermer des plaies depuis longtemps ouvertes et de les rapprocher de leur humanité perdue. J'ai un petit faible pour les histoires de "famille choisie", donc ce côté de l'historie m'a ravie... Si l'on fait bien entendu l'impasse sur la toxicité des hommes qui veulent tous la "posséder" physiquement ou la figer dans une posture maternelle forcée. Bien sûr, je n'étais pas sans ignorer que voir quatre beaux gosses aux envies toxiques tourner autour d'une frêle créature faisait partie du contrat quand j'ai acquis la série (mais ça fait toujours un peu mal). Dans un même temps, l'ambiguïté des personnages, particulièrement celle de Friedrich qui est certainement le plus dangereux de tous, participait à rendre ce récit addictif et les regrets qui habitent le vampire ont certainement fait de lui le plus intéressant. Tous avaient une bonne raison de vouloir garder Stella près d'eux malgré le caractère impossible d'une relation saine. Non sans rappeler la lumineuse héroïne de Fruits Basket, Stella possède en effet un caractère doux poussant son entourage à s'éloigner de leur part d'ombre et faire de leur mieux pour rendre fière cette mère de substitution.

     La figure féminine est ainsi maternelle, lorsqu'elle n'est pas source de désir primaire ou tout simplement diabolique. On constate malheureusement une simplicité narrative trop évidente, notamment dans les sentiments des héros qui se tournent un peu trop facilement tous vers Stella. J'aurais aimé à plusieurs reprises plus de profondeur, être davantage dans leurs pensées. Comprendre un peu mieux Gilbert, le plus effacé, mais surtout le héros de cette histoire, Levi, que j'ai l'impression d'effleurer seulement. J'ai été en revanche plus agréablement surprise par Yoel et son évolution dans l'histoire, mais aussi par Friedrich qui, comme dit plus haut, se montre plus gris et peine à s'accorder dans l'ambivalence que représentent ses émotions. Tantôt manipulateur dangereux, puis amoureux éploré dont on doute de la sincérité, le jeune homme est indubitablement mauvais et si je savais qu'il ne représente pas une vraie perspective d'avenir pour Stella, j'ai aimé le suivre dans son cheminement intérieur ambigu. Malheureusement, il manque peut-être un petit quelque chose pour que les personnages semblent réellement "vivants" et c'est ce que j'ai regretté dans le titre car, comme bon nombre de ses composantes, il y a une vraie richesse qui est palpable dans la totalité de l'œuvre. Indépendamment de l'aide qu'elle apporte à la famille, l'héroïne a un réel rôle à jouer dans l'histoire et son propre passé, ce qui m'a surpris au vu du peu de caractère qu'elle montrait dans les premières pages. J'ai aimé l'évolution de l'intrigue autour de son personnage et ce que cela apportait à l'histoire dans sa globalité. 


     La romance tient une place prédominante dans le titre, principalement celle qui unit Levi et Stella dès les premières pages de l'intrigue. Nous nous retrouvons ainsi dans un schéma plutôt traditionnel de l'amour vampirique qui va se découper en deux temps : d'abord effrayée par la véritable nature de celui en qui elle a placé sa confiance, l'héroïne va ensuite s'abandonner au plaisir macabre de cette faim défendue. Ainsi, la relation amoureuse entre Stella et Levi n'a rien de particulièrement innovant et suit des schémas auxquels les lecteurs assidus de romances sont habitués. Mais cela fonctionne parfaitement, tant la sensualité des regards échangés et des moments intimes est visible derrière la page. Cette histoire interdite va d'abord fleurir dans les coins ombragés, avant d'exploser au regard de tous et semant de multiples graines de jalousie sur leur passage. J'ai aimé le soutien qu'ils s'apportaient mutuellement et cette entente parfaite qui est rarement troublée, si ce n'est par des éléments extérieurs et indépendants de leur volonté. Je ne tenais pas particulièrement à la voir aux côtés d'autres personnages, preuve que la mangaka a su manier ses cartes avec adresse. 

    En dehors de l'évolution de la principale relation amoureuse qui tourne à l'impossible, on sent un réel potentiel derrière le scénario qui se profile. Il est évident que l'autrice a le désir de partager différentes réactions et réflexions des quatre vampires face à leurs sentiments amoureux naissants et en cela, c'est réussi. Seulement, l'intrigue principale met trop de temps à se mettre en place et, une fois qu'elle se dévoile entièrement, le récit arrive déjà à sa conclusion, faisant naître un sentiment de déception pour le lecteur, qui voit une partie de l'œuvre être tuée dans l'œuf. À trop vouloir travailler le psyché de ses personnages (ce qui est, pour certains, fait de façon trop superficielle), l'autrice semble en avoir oublié de résoudre les problématiques qu'elle avait mises en place, ce qui donne un résultat malheureusement inachevé au titre. C'est d'autant plus frustrant qu'il commençait à présenter de très bons éléments scénaristique vers son troisième tome. Plusieurs questions restent sans réponse et si j'aime habituellement faire courir ma créativité face aux conclusions ouvertes, il y a de telles zones d'ombres que même l'imagination la plus aguerrie ne peut se permettre de telles fantaisies. Si la conclusion reste quand même très satisfaisante (j'ai beaucoup aimé le choix final et l'idée de cette famille recomposée qui se concrétise), j'aurais surement aimé que l'on en sache plus sur Rose, celle qui était derrière tout ça, et ses motivations.  

    J'ai eu un grand coup de cœur pour le trait de Kachiru Ishizue. Ses personnages sont beaux, charismatiques et piègent immédiatement le regard. Ses travaux en tant que chara-designeuse font d'elle une artiste en pleine possession de son médium et des thématiques visuelles choisies. J'ai adoré son utilisation du noir ainsi que certaines envolées graphiques vraiment réussies. Les planches sont un véritable bonbon empoisonné pour le lecteur, qui ne peut en détacher les yeux. Rien que pour cet élément, la série vaut la peine d'être lue à mon sens !

    Divertissante romance gothique, Rosen Blood se présente comme un très bon choix de lecture automnale. Si le tout reste perfectible, ses défauts sont rapidement oubliables et je pense que j'en garderai un agréable souvenir. Je suivrais à la trace les pas de cette autrice qui détient une foule de promesses entre ses doigts talentueux ! 

Avez-vous lu cette histoire ? Vous êtes-vous abandonné.e aux bras d'un mystérieux vampire et y avez-vous laissé quelques gouttes de sang ?

En vous souhaitant une belle journée, je vous remercie infiniment d'avoir lu ce billet jusqu'au bout.
Roseline 🌹☕


Rosen Blood, série terminée en 5 tomes

titre vo : ローゼンブラッド~背徳の冥館~
scénario : KACHIRU Ishizue
dessin : KACHIRU Ishizue
éditeur français : Pika
collection : Purple Shine (Shôjo)
traducteur : LE DIMNA Lea
publication : septembre 2021 à avril 2023
prix unitaire : 7€20

2 commentaires:

  1. Quelle magnifique introduction, elle plonge directement dans l'ambiance. J'ai été totalement séduit par les illustrations de l'autrice et j'hésitais à me prendre le manga. Je pense que je vais finir par céder à la tentation. J'ai un peu peur que la dernière ligne droite soit frustrante et je ne sais pas trop quoi penser de la narration à la otome game, en général soit j'adore soit ça me rebute, il y a rarement de juste milieu... Je t'en dirai des nouvelles.

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  2. Coucou Joan, merci infiniment pour ton commentaire ! Ça n'est peut-être pas la série la plus inoubliable qu'il soit, mais plus j'y pense et plus je me dis que j'ai passé un bon moment avec. Comme tu le dis, les illustrations sont vraiment sublimes, j'espère que l'autrice va rapidement entamer une nouvelle série.

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