C'est le début du printemps, les jours s'allongent, la lumière s'immisce dans les intérieurs tout comme dans les esprits, où bourgeonnent et se rappellent à notre mémoire des rêves depuis longtemps endormis... Ça n'est sûrement que purement personnel, mais à cette période, je suis toujours très motivée pour me lancer dans de nouveau projets et quel meilleur titre pour accompagner mes excès de bonnes volontés que Navillera, je vous le demande ?
Publié à l'origine sur la plateforme Piccoma, Navillera est un webtoon né des forces combinées des artistes Jimmy et HUN, ayant été publié entre 2016 et 2017. En France, le titre est disponible depuis octobre dernier par le biais des éditions K-books et compte à son actif deux volumes reliés. Peut-être connaissez-vous déjà l'œuvre par le biais de son adaptation télévisée, disponible sur Netflix depuis 2021 et portée par PARK In Hwan et SONG Kang dans les rôles titres.
Retraité depuis de longues années, Deokchul mène tranquillement son existence, entouré d'une famille aux carrières accomplies. Seulement, le décès d'un ami proche va lui faire réaliser qu'au crépuscule de sa vie, il n'est pas aussi heureux qu'il pourrait l'être et qu'un grand regret obscurcit la toile de sa vie : celui de ne jamais avoir tenté le ballet, un art le faisant rêver depuis sa jeunesse. Malgré la ferme opposition de sa famille, le vieil homme va tenter de réaliser ce souhait tant qu'il en est encore temps. C'est ainsi qu'il fera la connaissance de Chaerok, un jeune ballerino désabusé qui suite à une blessure peine à retrouver la passion qu'il entretenait autrefois pour la danse. Ainsi commence la collaboration de cet étrange duo dysfonctionnel qui va, de fil en aiguille du récit, s'apporter mutuellement joie et confiance.
Malheureusement, la première approche de Deokchul vers cet art est peu engageante. Si ce qu'il en voit l'enchante et le conforte dans l'émerveillement qu'il a ressenti pour le ballet dans son enfance, son entourage s'oppose fermement à ce qu'il s'essaie à cette discipline. De nombreux arguments sont apportés sur la table, le ramenant cruellement à son âge avancé et aux dangers que cela pourrait amener. Mais derrière toutes les injonctions qui sont prononcées, subsiste une problématique plus profonde, celle de la peur du regard des autres et de la différence. Paniqués par ce que la société pourrait penser d'eux, les enfants du vieil homme lui présentent tous les arguments possibles et imaginables afin de lui faire renoncer à l'idée. On ressent à la lecture la réelle pression que peut mettre le pays sur le dos de ses citoyens, pour qui l'excellence n'est plus un but à atteindre, mais bien un mode de vie à ingérer à tout prix. Le fils ainé de Deokchul se montre particulièrement réfractaire à cette idée, presque effrayé par l'image que pourrait renvoyer ce vieillard, bien connu de son quartier. Pour beaucoup, il est inimaginable de voir ce retraité tenter de danser parmi des jeunes dont la vigueur n'est, à son contraire, pas à prouver. Le portrait qui est ainsi fait de ce vieil homme aux yeux rêveurs, aussi doux qu'amer, est ainsi régulièrement brisé par l'image que se font les autres de lui. Si Deokchul est empli de volonté et d'amour pour le ballet, la volonté sera-t-elle suffisante pour lui permettre de réaliser ce rêve ?
Chaerok, bien que considérablement plus jeune, n'est pas à l'abri de telles contraintes et vit ainsi son enfance et adolescence balloté de sport en sport. Son père aspire à le voir en grand athlète, ce qui inflige évidement beaucoup de pression à l'enfant, qui ne parvient malheureusement pas à atteindre les idéaux de son paternel. C'est une fois qu'il est trop tard, lors du décès de sa mère, que le jeune homme va enfin s'autoriser à tester la danse, un domaine pour lequel ils partageaient tous les deux un grand intérêt. Alors qu'il éprouve pour la première fois une véritable passion pour une discipline sportive, Chaerok voit son chemin obstrué par le regret de ne pas avoir su chérir cette envie du vivant de sa mère.
Le titre excelle dans ce cruel tableau du temps qui passe, de l'acceptation de la vieillesse par la société, aussi bien que par nos proches, puis par nous même. Navillera invite ainsi le lecteur à réfléchir à sa propre situation ainsi qu'à ses rêves et envies déchues. N'est-il pas encore temps de se lancer dans ce vieux projet recouvert de poussière ? Pourrons-nous encore, moralement comme physiquement, tenter cette nouvelle discipline dans quelques années ? De nature plutôt mélancolique, je suis toujours plutôt sensible et sujette aux regrets et j'essaie ainsi d'y être le plus attentive possible. C'est donc tout naturellement que le webtoon a réellement remué quelque chose en moi, me poussant à tenter de nouvelles choses et à réfléchir à ce que je peux encore faire, maintenant.
Le duo de "ratés" formés par les deux protagonistes est rapidement attachant. Difficile de ne pas se sentir touchés par cet assemblage atypique et leurs craintes, qui résonnent largement à travers nos propres peurs liées au futur. J'ai pris plaisir à voir Chaerok, au départ réfractaire à l'idée, s'ouvrir peu à peu au rêve de son "apprenti" et prendre le vieil homme sous son aile, renouant par le même biais avec son art. Deokchul est néanmoins à mes yeux le plus émouvant des deux et force le respect de par sa grande volonté. Le fait qu'ils prennent chacun soin de l'autre, dans la sphère artistique comme personnelle, ajoute une touche très humaine et lumineuse. Il semble y avoir un équilibre parfait entre les deux protagonistes, entre rigueur et petites attentions. J'ai adoré voir Deokchul s'occuper du jeune homme comme s'il s'agissait de son fils. Je suis certaine que le titre nous réserve encore quantité d'adorables scènes de ce genre !
Je n'ai pas eu l'occasion de lire l'oeuvre dans son support original, aussi je ne peux pas dire grand chose sur la transposition, si ce n'est qu'elle me semble fluide et discrète. Il est parfois difficile à croire que le titre est un webtoon, de base. Si l'on voit pour le moment assez peu de scènes de danse, le dessinateur a fait le choix de leur configurer plus de puissance que de grâce, ce qui a au départ un peu dérouté ma vision de cet art. Dans sa globalité, j'ai plutôt apprécié le trait de Jimmy, le design de ses personnages ainsi que la colorimétrie du titre.
Ainsi, si la vie vous parait un peu trop belle en ce moment, je vous recommande chaudement la lecture de Navillera, qui vous fera, au choix, pleurer lamentablement ou redonner confiance en une humanité pleine de saveurs et de beauté. C'est une œuvre douce et chaleureuse qui change agréablement de ce que l'on est habitués à voir en termes de sorties de webtoon au format papier. L'avez-vous déjà lu ? Avez-vous envie de renouer avec vos doux rêves d'enfants ? Quelle relation avez-vous avec votre vie, ici et maintenant ?
En vous souhaitant une douce fin d'après-midi, merci infiniment de m'avoir lue jusqu'au bout.
Roseline. 🍵
Navillera, tome 01
scénario : HUNdessin : Jimmyéditeur vf : Kbookstraducteur : Gwenaelle Pompiliodate de publication : 05 octobre 2022prix public : 14€95
Ca va être difficile d'attendre la retraite pour réaliser nos rêves, surtout en ce moment. Mais "blague" à part, j'ai adoré ton nouvel article, j'aimerais que ce soit le printemps tous les jours pour en avoir encore et encore (quand bien même ça irait de pair avec mes allergies). La douceur avec laquelle tu parles de ce webtoon correspond parfaitement à celle que tu essaies d'être quand tu réfléchis à des mangas comme Aria, Après la pluie ou Orange. Ca se ressent et ça rend la lecture très agréable. Tu me fais réfléchir au sujet du livre avant même que je le lise, je trouve ça fort. D'ailleurs, je vais de ce pas continuer à y réfléchir.
RépondreSupprimerCoucou Joan, ton commentaire me fait tellement plaisir (si ce n'est cette dure réalité sur les retraites.... haha) Tes articles me poussent toujours vers le haut, aussi je suis si émue par ce que tu dis snif.. J'aime beaucoup profiter de mes lectures pour réfléchir un peu sur certains sujets qui peuvent se fermer à moi dans d'autres circonstances. Un immense merci, j'espère que le livre te plaira si jamais tu as l'occasion de le lire !
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