vendredi 22 mars 2024

La pause thé 🍵 Limit tome 01

    Longtemps absente de nos contrées, Keiko Suenobu est pourtant l'autrice de l'acclamé Life, manga dramatique sur le harcèlement scolaire sorti dans les années 2000 aux éditions Kurokawa. Ce manga, que l'on peut seulement lire au format numérique aujourd'hui, a beaucoup fait parler de lui pour la tonalité brutale et le sérieux avec lequel il traitait de son sujet, rarement abordé de front de cette façon. Amatrice d'émotions fortes et de petits tremblements dans mon quotidien paisible, j'ai toujours été très curieuse de découvrir cette mangaka qui semble si talentueuse. C'est aujourd'hui possible avec Limit, un manga fait de survie et de relations humaines. 



    Mizuki est une jeune lycéenne sans attaches et sans ambitions particulières. Elle s'estime chanceuse de faire partie du groupe des "populaires" aux côtés de son amie, la très jolie et accomplie Sakura. Elle ferme les yeux sur les petites brimades que cette dernière fait subir à ses camarades car, tant qu'elle est l'abri de toute vague, Mizuki se sent en paix. Tout va brutalement changer pour elle le jour où, lors d'un voyage scolaire, sa classe toute entière est victime d'un grave accident de la route. Perdue au beau milieu de la nature et sans ressources, Mizuki n'a d'autre choix que de tout faire pour survivre jusqu'à l'arrivée des secours. Mais est-elle vraiment seule au beau milieu des inquiétantes ombres de la forêt... ?

    Bien que les scénarios de survie soient éloignés de mon esthétique "girly" générale, ces derniers ont toujours eu une place chère à mon cœur. J'apprécie particulièrement lorsque la dimension psychologique prend une part importante du récit et cela semble être le cas de Limit. Très rapidement, un portrait honnête de l'héroïne est brossé. On connait ses faiblesses, ses peurs; bref, on a une image claire de son degré d'humanité. Lorsque la catastrophe survient, on ressent clairement un changement complet d'ambiance et le lecteur est plongé dans un territoire hostile et inconnu. Le dessin expressif et l'utilisation des ombres de Keiko Suenobu illustre parfaitement ce revirement de ton et aide à l'immersion totale. Sur le bout de mon siège, je tourne rapidement les pages, avide de savoir ce qui va arriver à notre héroïne et dans quelle mesure cet accident va changer le cours d'une vie bien tracée. 


  En installant rapidement ses protagonistes et leurs caractéristiques bien tranchées, l'autrice attise immédiatement la curiosité du lecteur et montre son intention de ne pas le laisser souffler quelques minutes. J'ai adoré cette introduction très particulière pour une héroïne car cela relevait complètement de l'inattendu, pour nous lecteurs qui sommes davantage habitués à suivre un.e gentil.le figure pleine de rêves et d'altruisme à ne plus savoir qu'en faire. Sans pour autant pouvoir être qualifiée de mauvaise, Mizuki n'est pas non plus une héroïne à laquelle on a envie de ressembler. Obsédée par son statut social, la lycéenne ne semble jamais montrer sa véritable personnalité et navigue entre ce qu'elle veut montrer d'elle-même aux autres et quelques miettes de ce qu'elle désire cacher qui lui échappent. Victime de brimades plus jeune, Mizuki est effrayée de connaître à nouveau une brutale mise à l'écart et se méfie des relations humaines, qu'elle pense superficielles et amenées à se terminer quand l'un des deux partis n'est plus utile à l'autre. J'ai aimé faire la connaissance de cette héroïne "grise" et cela m'a plu de peiner à la comprendre également. L'accident semble en faire une nouvelle personne, toujours déterminée à donner une certaine image d'elle-même, mais fait également ressortir un sens de la justice qu'elle semblait s'acharner à taire. Son ambivalence en fait pourtant une pale héroïne face à sa camarade Kamiya qui semble bien plus avoir les choses en main. J'ai des idées bien butées sur ce que j'aimerais voir de cette étrange protagoniste et, si Keiko Suenobu me donnera certainement tort durant la suite de son récit, j'aimerais suivre une Mizuki davantage manipulatrice, plus désespérée et mesquine, comme semblait se montrer son caractère dans la première partie du récit. Bien qu'elle n'ait jamais été écrite comme profondément "méchante", j'avoue que j'ai regretté de la voir si rapidement se métamorphoser en quelqu'un de plus vertueux, comme si tous ses efforts pour être proche de Sakura avaient fondus ; quand bien même la situation explique facilement ce revirement. Peu importe la trajectoire que cela prendra, j'ai toutefois confiance pour voir une belle évolution du personnage dans les tomes qui suivront.

   Les autres protagonistes restent pour le moment relativement prisonniers de cases dont on ne voit aucune fissure. Nous avons une blessée, une vraie survivaliste qui porte l'ensemble à bout de bras et celle qui supporte la situation en faisant ressortir toute sa folie jusqu'ici contenue. Le petit groupe de survivantes s'organise bien et les enjeux autour de ces dynamiques sont intéressants dans la mesure où, alors qu'elles sont brutalement jetées hors du cercle social dans lequel elles ont grandi, elles font tout pour en former un nouveau. La loi du plus fort continue alors d'imposer sa tyrannie, mais cette fois-ci, c'est Himezawa, jeune fille brimée par sa classe, qui va se positionner en haut de l'échelle et prendre les décisions au sein de cette communauté nouvelle. Si ce retournement scénaristique apporte des éléments intéressants et surtout un caractère très addictif, dans le sens où l'on ne sait jamais ce qui peut arriver aux héroïnes tant sa rationalité est questionnable, j'ai regretté la facilité avec laquelle la victime devient bourreau. Transformer cette pauvre fille, pour laquelle on devrait avoir de la compassion, en folle furieuse est un choix qui a assurément ses raisons, mais je trouve que c'est faire preuve de facilité. Peut-être est-ce une forme d'insensibilité de ma part, mais j'ai eu du mal à comprendre cette jeune fille dont on voit trop peu les souffrances passées. Cela donne une impression d'excès au personnage de Himezawa et elle semble en faire trop pour finalement peu de choses.  Mais, encore une fois, il ne s'agit que du premier volume et je suis convaincue que ce la mangaka saura apporter quelques nuances dans ce portrait pour l'instant assurément trop brut. 

    C'est surement cela qui me donne le plus envie de continuer à suivre la série ; plus que de voir comment les héroïnes vont composer avec la situation, j'ai vraiment l'envie de voir l'évolution de ces personnages fragiles et la destruction de leur carapace et idéologie sociale. Ce sera avec un vrai plaisir que je poursuivrai cet angoissant manga, d'autant plus que les dernières pages m'ont vraiment prise par surprise. J'étais tellement prise dans ma lecture que je ne m'étais pas rendue compte que j'approchais si dangereusement de la fin du volume ! Malgré ses mineurs défauts, Limit a donc été une très bonne découverte pour moi et j'ai hâte de poursuivre ma lecture. 

Avez-vous déjà lu ce manga ? N'hésitez-pas à me faire part de vos premières impressions !

En vous remerciant du fond du cœur d'avoir lu mes ressentis jusqu'au bout, je vous souhaite une douce soirée, accompagnée bien entendu d'un délicieux thé bien chaud ! 
Roseline 🍵

Limit, tome 01

titre vo : リミット
statut : série terminée au Japon (6 tomes)
scénario : SUENOBU Keiko
dessin : SUENOBU Keiko
éditeur français : Pika
collection : shôjo
traduction : CABLE Emeline
publication : février 2024
prix unitaire : 7€20

2 commentaires:

  1. Merci pour ce nouvel article !

    J'ai lu le manga, et j'ai beaucoup apprécié mais j'ai quand même de grosses réserves. Déjà, c'est cousu de fil blanc. Rien que le final du tome 1, même s'il est surprenant et qu'un twist aurait été intéressant, je mets ma main à couper qu'il ne va rien se passer et que l'histoire va repartir comme avant. Du coup, je doute un peu que l'héroïne devienne manipulatrice. Je pense plutôt que cet accident va lui faire rencontrer son véritable "moi". Mais c'est pas plus mal car j'ai bien aimé la manière dont elle traitée. Au départ, elle fait presque figure de "méchante" quand elle marche dans la rue, au moins d'antihéros. Mais elle n'est pas détestable, on peut se reconnaître en elle. C'est ce qui fait que l'on se range de son côté quand la situation bascule. En plus l'autrice développe son background juste au bon moment pour nous faire ressentir de l'attachement. On comprend mieux pourquoi elle est comme ça, et on accepte sa vision du monde qui est finalement plus cynique que machiavélique.

    Par contre la méchante... Et c'est d'ailleurs le souci, si je dis la méchante, tout le monde comprend de qui il s'agit, l'autrice a créé un personnage vraiment manichéen. Curieux de voir le développement et je comprends son apport au récit mais moralement, ça veut dire quoi ? Tu le dis toi-même, elle devient comme ça pour pas grand-chose... On dirait presque que le message est "on comprend mieux pourquoi elle a été harcelée" alors que non, l'autrice veut sans doute mettre en garde sur les répercussions du harcèlement sur la santé mentale. Mais en fin de compte elle crée un stéréotype de "folle". Elle a toujours tendance à exagérer et je trouve que ça dessert ses propos. C'était pareil dans Life, le manga était clairement too much. J'espère qu'elle va nuancer au moins un peu le personnage, ou alors aller au bout de son idée en la rendant dangereuse mais dans ce cas en expliquant mieux son vécu.

    Sinon j'ai beaucoup aimé le manga qui m'a rappelé autant Dragon Head que Battle Royale. En dehors des considérations morales et de la manière dont est abordé le harcèlement, je trouve le récit vraiment prenant. Ca donne envie de tout lire de suite.

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    1. Merci immensément pour cet article, ça m'a fait trop plaisir de lire ton ressenti sur le manga ! C'est toujours un plaisir de pouvoir échanger comme ça.

      On ressent visiblement à peu près les mêmes choses, c'est en soit dommage mais... Cela me rend plus impatiente de lire la suite également, parce qu'il y a beaucoup de possibilités d'améliorations et j'espère que ce sera le cas et pas seulement un mirage.

      Ce que tu dis sur le personnage de la brimée est tristement juste, j'espère vraiment qu'il y aura une évolution positive à son propos car je trouve que cela dessert un peu le manga et la crédibilité que j'ai envie de lui apporter (même si une simple oeuvre divertissante, à la finale, ne fait jamais de mal).

      J'ai aussi pensé à Dragon Head, surtout dans la première scène du bus et la réalisation de la situation par l'héroïne !

      J'ai hâte de pouvoir continuer à partager sur le titre !

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