mardi 9 avril 2024

La pause thé 🍵 - L'auberge de la vie tome 01

Dans un petit coin reculé du Japon se trouve le cap de Shide, dit le "cap de la mort". Cette appellation lui a été donnée en raison de l'important nombre de suicides qui se déroulent en ses lieux. Lorsque les vagues grondent, léchant dangereusement les pieds au bord de la falaise, on comprend pourquoi cet endroit solitaire; à la fois empli de tristesse et de dangers, est si réputé auprès de ceux qui n'attendent plus rien de la vie. Seulement, peut-être trouveront-ils une réponse à leurs questionnements s'ils continuent, un peu plus loin sur la route. Là se trouve l'auberge Gilda, un lieu étrange entre la vie et la mort qui voit passer entre ses murs les âmes les plus esseulées...

     Terminé en seulement deux tomes au Japon, L'auberge de la vie est l'un des petits derniers des éditions Akata, qui a toujours eu à cœur de proposer des ouvrages sensibles aux douleurs sociétales les plus complexes, mais tristement répandues. Si l'autrice du diptyque, Nozo Itoi, ne vous semble pas inconnue, c'est qu'il s'agit de la tête pensante derrière le récent Le goût des retrouvailles, sorti il y a quelques années chez le même éditeur. 

    Le récit débute tandis que nous faisons la connaissance de Sumomo, jeune fille au look tape-à-l'oeil qui semble jurer avec le sérieux du décor. Elle se trouve en effet aux alentours de ce fameux "cap de la mort" et semble résolue à vivre ses derniers jours les yeux rivés sur cette menaçante falaise. Si elle est décidée à mettre fin à son existence, reste toutefois au fond de sa conscience le regret de ne jamais avoir pu revoir une personne qui lui était chère. Qu'elle n'est pas sa surprise lorsqu'elle retrouve Yuko, cette femme qu'elle n'a jamais réussi à oublier, gérante d'une petite auberge, à quelques minutes seulement de ce lieu mortel. Heureux hasard ou nouveau sortilège de cette mystérieuse beauté, perdue dans le tumulte des lamentations et le bruit fracassant des vagues qui résonne à travers les murs fins de l'établissement... ?

    De fil en aiguilles, Sumomo, afin de se rapprocher de cette dernière lueur de vie, va commencer à travailler dans cette auberge un peu particulière. Car ici, plus qu'un endroit dans lequel les touristes peuvent se reposer, c'est un défilé de personnes suicidaires, qui vivent leur derniers instants dans ce qui figure comme une pause étrange dans la course du temps. Employant des personnages hauts en couleurs et habitués à faire face à ce genre de situation, l'auberge Gilda semble presque ignorer son emplacement macabre, voire en fait un argument de vente pour attirer le chaland. Ainsi, notre héroïne a à peine un pied mis dans le bâtiment qu'elle va se retrouver face à une personne psychologiquement très instable, finalement ici présent pour les mêmes raisons qu'elle, se donner la mort. Sumomo, qui a brièvement fait la connaissance de sa tenancière, Yuko, dans sa jeunesse et garde un souvenir très cher de cette rencontre, est bien entendu troublée de cette atmosphère particulière. Elle qui tenait tant à disparaitre se retrouve finalement à douter après avoir vu avec quelle adresse Yuko s'occupe des gens qui sont dans la même situation qu'elle. 

    Ainsi, le scénario se découpe en plusieurs petites histoires mettant en scène un nouveau visiteur en difficulté au sein de l'auberge. Ce genre d'histoire m'attire toujours beaucoup, sans que je puisse l'expliquer et mon exigeante sensibilité a apprécié la façon dont l'autrice traitait avec neutralité de ces problématiques très sérieuses. Sans réellement influencer frontalement leur décision, Yuko et ses employés prennent le temps de marquer une pause réelle dans les réflexions de leur client, le confrontent à sa réalité avec un mélange d'empathie et de neutralité troublante, comme si tout cela ne les regardait nullement. Une nuit au sein de l'auberge Gilda me fait l'effet d'un songe fiévreux, mais réparateur si les mots que l'on y a entendu restent en tête au réveil. Je pense que le second et dernier tome prendra un tournant différent et travaillera davantage ses protagonistes récurrents, mais j'ai apprécié chacune des histoires individuelles composant ce tome. Bien sûr, elles ont un intérêt scénaristique poussant l'héroïne à se questionner et à grandir un peu plus loin de ses idées bien arrêtées sur le cours de sa vie. Mais je les ai appréciées pour ce qu'elles sont également, des brèves de vie d'individus qui sont épuisés par la société, par des sentiments trop importants ou des non-dits. Ce n'est qu'un petit échantillon de ce qui peut pousser une personne à choisir cette solution extrême, mais j'y ai trouvé de la sincérité, de la chaleur et une réelle volonté de travailler ces personnages que l'on ne reverra certainement plus.

    Malgré ces mots, je dois bien avouer que ce sont les quatre protagonistes qui m'ont le plus intéressée. Le lecteur comprend que cette réunion de personnages, tous secrets à leur façon, est due à un passé compliqué et aux barrières qu'ils ont mis entre eux et la suite de leur vie. Leurs liens, un peu flous, semblent pourtant solides et tous se réunissent naturellement autour de Yuko, une femme forte et énergique dont les antécédents sont on ne peut plus mystérieux. On se demande forcément qu'est-ce qui pousse une femme aussi belle, à l'aura magnétique, à se cacher dans une auberge aussi reculée. J'ai beaucoup aimé la dynamique entre l'ensemble des employés qui est assez rigolote et tendre, presque comme une famille retrouvée, un "trope" très cher à mon cœur. Mais, étrangement, j'ai refermé le tome avec une sensation d'éloignement des personnages. Ils restent très secrets et, si on apprends à les connaitre au travers des histoires des clients, je n'ai pas l'impression de les avoir "fait miens". Au vu de la conclusion du tome, j'imagine que le second et dernier volume corrigera ce petit manque. J'ai particulièrement hâte de faire la rencontre d'une Yuko un peu différente, plus "entière" car elle ne semble pas montrer pleinement son caractère. Mais au fond, si cela n'arrive pas, ce ne sera sûrement pas si grave. Car j'apprécie également le côté "regard dérobé" que j'ai éprouvé en lisant ce titre. J'ai eu l'impression de les observer secrètement, de voler un petit instant de leurs vie, dont je ne connaitrai peut-être pas l'entièreté ni même le passé, mais ce qui fait son essence, à l'instant même. D'être, quelque part, une cliente de cette étrange auberge à mon tour. En tout cas, on ressent toute la volonté de l'autrice de dessiner des personnages humains, avec du vécu, et c'était ce que j'ai certainement préféré dans ce premier tome.

J'aurai peu de choses à dire sur le trait de Nozo Itoi. Il est clair, expressif quand il le faut. L'autrice fait le choix judicieux de négliger les arrières plans pour mettre en valeur au mieux les émotions et changements de ton. J'ai particulièrement aimé les expressions de Sumomo, qui collaient parfaitement à la vivacité de son caractère. 

Au vu de son premier tome prometteur, L'auberge de la vie sera certainement un titre chaleureux, à ajouter comme petit craquage sans trop de conséquences au vu de sa courte durée. Sans en faire trop, l'humanité de l'autrice se dégageant de ces pages m'a donné très envie de suivre ses autres travaux. J'ai hâte de lire la conclusion de ce joli titre !

N'hésitez-pas à me dire vos premières impressions si vous l'avez déjà lu, je serai ravie d'en discuter avec vous ! En vous souhaitant une jolie soirée faite de lecture et d'un délicieux thé chaud (ou autre boisson réconfortante de votre choix), à bientôt ! Roseline 🍵

L'auberge de la vie, tome 01
titre vo : 最果てから、徒歩5分 (Saihate kara Toho Go-fun)
statut : série terminée au Japon (2 tomes)
scénario : ITOI Nozo
dessin : ITOI Nozo
éditeur français : Akata
collection : large (seinen)
traduction : GOY Alexandre
publication : avril 2024
prix unitaire : 8€05


Un grand merci aux éditions Akata pour m'avoir permis de découvrir ce titre ! 

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