dimanche 2 mai 2021

[Semaine du Shôjo 2021] - quel shôjo t'invite le plus à l'évasion ?


Cette année encore, j'ai été invitée par Club Shôjo à répondre à une épineuse question : quel shôjo te donne le plus envie de voyager ou t'invite le plus à l'évasion ? Une interrogation devant laquelle plusieurs lecteurs se seront posés, donnant lieu aux réponses les plus diverses. J'ai fait le choix de vous parler de deux petites pépites malheureusement assez peu connues, qui traitent du voyage sous une forme très poétique.


    Avant toute chose, si vous n'êtes pas familiers avec la semaine du shôjo, il s'agit d'un événement annuel rassemblant plusieurs blogueurs autour d'une problématique mettant en avant plusieurs facettes de ce genre éditorial et faisant la part belle aux découvertes. Cette année, l'événement se déroulait du 26 avril au 02 mai et vous proposait tout un beau programme de petites curiosités, que je vous laisserai le soin de découvrir. 


Le voyage comme ticket vers la maturité 


    N'étant malheureusement pas (encore ?) familière avec les shôjos de type isekai où le voyage prend tout son sens, je me suis naturellement tournée vers un petit joyau de ma bibliothèque : Voyage au bout de l'été. Dans ce one-shot de Keiko NISHI publié aux éditions Akata, nous poursuivons les rêves déchus de deux êtres que peu de choses rassemblent. Makoto est un jeune fonctionnaire bien droit dans ses bottes qui dessine en secret un shôjo manga qu'il peine à assumer, tandis qu'il fait la rencontre d'une jeune lycéenne, Kureha qui semble avoir fugué de chez elle. Ensemble, ils vont se lancer dans un périple vers Tokyo afin de tenter d'atteindre la publication du manga de Makoto, qui a beaucoup touché la jeune fille. 

    Si le voyage est ici à prendre au premier degré, ce que je trouve plus intéressant encore de relever est la nature de ce voyage et ce qui en découlera sur les protagonistes. Plus que le fait de prendre la route d'un point a à un point b, il est passionnant d'observer les changements qui s'opèrent sur ces deux âmes errantes qui se dénudent petit à petit. Ce voyage de leur ville de départ jusqu'à Tokyo sera pour eux deux réparateur, Kureha trouvant en la présence du mangaka en herbe un point d'attache là où sa famille s'éparpille au vent. Outre le courage de dépasser les préjugés selon lesquels un homme ne peut écrire une romance, Makoto acquerra une certaine validité en tant qu'homme après avoir subi une enfance compliquée aux côtés d'une mère qui aurait préféré avoir un enfant du sexe opposé. Si mon résumé peut amener naturellement le manga vers une vision sombre, il n'en est rien, Keiko NISHI maîtrisant parfaitement son récit afin de le diriger vers une lumière bienfaitrice, à grand renfort d'un humour fin et bon enfant. 

    Malgré tout, le couple ne sera pas le seul élément moteur du manga. L'autrice nous fait faire un petit bout de chemin avec le reste de la famille de Kureha, le voyage ayant ici pour fonction de faire des rencontres essentielles, les sortant des cadres bien établis qui entravaient jusqu'ici leur liberté. Le petit frère rencontre par exemple son harceleur, qui au gré de quelques aventures, finit par devenir son ami. La grande sœur, toujours responsable et modèle, aide un criminel à poursuivre sa fuite. Enfin, le grand-père, au coucher de soleil de sa vie, plaque tout afin de retrouver son premier amour. Tous feront un voyage, peu importe la distance, qui changera leur perception de la vie, durant au moins une petite période.

Le voyage comme salvation


    Par cette idée de voyage qui se ferait davantage dans l'esprit que dans le réel, j'ai fait le lien avec un manga d'une autrice qui m'est chère : Au fil de l'eau, de Aoi IKEBE. Dans ces deux titres, les personnages voyagent (au sens propre comme au figuré) afin d'échapper à un quotidien qui n'est pas tendre avec eux ou ne convient pas à l'éclosion de leurs rêves. Dans les deux cas, il y a un réel contraste entre la beauté de leurs songes, une certaine noblesse d'âme et les lieux où ils résident ou encore leur train de vie. 

    Au gré des pages de ce brillant one shot, nous faisons la connaissance de plusieurs habitants d'un petit quartier presque abandonné, se situant tout près d'une rivière particulièrement malodorante. Ici, tous les jours, une vieille femme s'assieds sur un banc, tout près de la crasse, et rêve à de belles choses. Elle qui habite seule dans un minuscule appartement, est habitée de rêveries grandioses, où s'impose son amour pour des romans comme Les quatre filles du Dr. March. Son image se superpose à celle de quatre sœurs et leur servante, dressées de leurs plus belles robes dans une somptueuse demeure et goûtant à longueur de journée aux mets les plus fins. Sortant ainsi de son quotidien peu enviable, elle trouve la paix dans cet univers fictif avec lequel elle se sent curieusement en symbiose, tandis qu'en réalité ses pieds touchent presque les détritus qui l'entourent. Mais si l'on s'accorde un petit pas sur le côté, le lecteur avisé saura comprendre, tout comme la vieille dame, le charme de ce petit coin de verdure bercé par ce qui semblerait presque être un providentiel rayon de lumière.

    A travers les autres habitants du quartier insalubre, la mangaka dresse de touchants portraits de rêveurs coincés dans une réalité qui n'est pas à la hauteur de leur somptueuse imagination. Malgré tout, l'autrice parvient à faire de son œuvre quelque chose de très positif, où le voyage de l'esprit tient plusieurs rôles salvateurs. Parfois, il permet de divertir, de sortir de son morne quotidien, de se recentrer sur la beauté des choses (l'exemple avec l'ouvrier, admirant l'éclat du verre sous les sons d'une entreprise intimant aux salariés de faire monter le chiffre d'affaires, est sublimement parlant). En somme, Aoi IKEBE habille le rêve de différentes formes et couleurs, mais ne fait pas de cette forme de voyage une fuite de la réalité. Elle le présente comme une pause, ramenant aux plaisirs simples, ressourçant le voyageur éreinté et permettant de mieux revenir au réel. D'ailleurs, ça n'est pas pour rien que le manga se referme sur... un personnage qui prend l'avion, démontrant que les rêveries sont parfois un beau ticket vers un futur souriant.

☆☾☆

   Si vous n'avez pas déjà lu ces deux mangas, je vous invite grandement à le faire, car ils m'ont tous deux beaucoup touchés, particulièrement le second et continuent, en pensée, à me faire voyager vers leur ambiance toute particulière. 

    Pour finir, voici la liste des articles des autres participants à l'événement, avec des réponses bien différentes des miennes ! En vous souhaitant une bonne lecture :) 


Voyage au bout de l'été,
manga de Keiko NISHI (2008),
 disponible en France aux éditions Akata (6€99)
Au fil de l'eau,
manga de Aoi IKEBE (2012),
 disponible en France aux éditions Komikku (16€00) 
 


1 commentaire:

  1. J'aurais également choisi Voyage au bout de l'été si on m'avait invité mais du coup, aucun regret : tu en parles tellement bien que je n'aurais rien eu à ajouter, surtout que ça complète ton ancien article sur le manga dont je me souviens encore parfaitement (et qui est l'une des raisons de pourquoi j'ai mis tous mes brouillons sur ce manga à la corbeille). J'adore la dernière phrase tout particulièrement...

    Pour Au fil de l'eau, je pense aussi beaucoup aux mangas d'Aoi Ikebe (difficile de se les sortir de la tête en même temps, surtout pour des personnes de notre sensibilité) et j'aimerais bien en lire de nouveaux. Les éditeurs devraient vraiment se pencher sur le travail de l'autrice.

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